Les artistes sont les interprètes de la réalité qui les entoure. Une réalité qui évolue à plus ou moins grande vitesse. La chinoise Yu Hong, qui peint depuis les années 80, est un des grands témoins des changements de son pays. Depuis l’évolution de la condition de la femme qui se libère du schéma familial traditionnel jusqu’à la pression exercée sur la jeunesse qui court pour rattraper un train économique sans frein. Également professeur d’art, elle prend le pouls de générations successives tantôt mélancoliques, tantôt tiraillées par une société qui doit parfois faire le grand écart entre tradition et modernité. Dans ses dernières peintures, il est beaucoup question de temps et d’évasion. “La Chine a besoin de ralentir, de prendre soin de tout le monde et de porter intérêt aux changements dans la vie des gens dans cette société qui se développe très vite. L’environnement change tellement vite que nous ne faisons plus attention à la vie. Nous devrions ralentir et prendre conscience de ce qui se passe réellement.”

P.M.


Artists are interpreters of the reality that surrounds them. A reality that is changing more or less fast. Chinese Yu Hong, who has been painting since the 80’s, is one of the great witnesses of the changes in her country. From the changes of the women conditions that are released from the traditional family pattern to the pressure on young people running to catch an economic train without brakes. Also art teacher, she takes the pulse of successive generations sometimes melancholy, sometimes torn by a society that must sometimes do the split between tradition and modernity. In her later paintings, there are matters about time and escape. “China needs to slow down, to take care of everyone and show concern for the changes in people’s lives in this fast-developping society. Because the situation changes so fast, we don’t even pay attention to life. We should slow down and be aware of what is actually happening.”

P.M.

Certains artistes aiment brouiller les pistes, refusent de se limiter à un seul support. Le suisse David Renggli s’y applique particulièrement. Dans sa dernière série Floorplan Desire Painting il joue d’illusions et là où de prime abord nous ne voyons qu’une seule surface, il s’agit en fait d’une superposition de plans. Peinture sur bois, sérigraphie et acrylique sur tissage de jute constituent les dimensions multiples de ses oeuvres. Elles gagnent ainsi en volume, prennent un nouvel aspect selon l’orientation de la lumière. On est confronté à un monde plat mais en relief, à des motifs architecturaux qui ne tiennent que sur une fine toile. Il efface les certitudes de chacun pour engager une conversation car “faire simplement des déclaration n’est pas satisfaisant.”

P.M.


Some artists like to cover their tracks, refusing to be confined to a single medium. The Swiss David Renggli takes a particular care doing so. In his latest series Floorplan Desire Painting  he plays with illusions and where at first we only see one surface, it’s actually layers of plans. Wood painting, silkscreen and acrylic on weaved jute are the multiple dimensions of his works. They thus gain in volume, take a new look depending on the orientation of the light. We then face a flat world but in relief, with architectural motifs that take weight on a fine canvas. He clears our certainties to start a conversation as “putting out only statements is not satisfying.”

P.M.

L’aquarelle apporte une vibration à un dessin, du mouvement dans une peinture, de la vie à des éléments figés. L’allemand Martin Dammann l’utilise parfaitement sur ses toiles qui recèlent une grande force. Le peintre collectionne les photos des deux Guerres mondiales prises par des soldats de France, d’Angleterre ou d’Allemagne pendant leurs loisirs ou leurs moments passés en famille. Il reproduit ces clichés de scènes inhabituelles où des soldats sont tantôt travestis, tantôt jouent avec leurs enfants. Ces moments, loin des conflits, rendent leur humanité à des êtres qui doivent parfois l’oublier sur le front. Tels des négatifs ne gardant que l’essentiel, ces peintures capturent l’énergie des protagonistes et de leur environnement ; elles captent la part invisible que l’on ne voyait pas sur les photos. L’artiste, qui a séjourné dans des lieux où ces clichés ont été pris, déclare : “Une partie de leur quotidien m’est familière, et ce partage me plonge à la fois dans leur époque et dans un lieu intemporel. Je m’efforce de communiquer ma réaction émotionnelle à travers l’utilisation intuitive de la couleur.”

P.M.


Watercolor gives a vibration to a drawing, a movement in a painting, life in fixed elements. The German Martin Dammann uses it perfectly in his paintings that have a great force. The artist collects pictures of the two World Wars taken by soldiers from France, England or Germany during their leisure or their family time. He reproduces these pictures of unusual scenes where soldiers are sometimes disguised, sometimes play with their children. These moments away from conflicts, give back their humanity to beings who must sometimes forget it on the battle front. Like negatives keeping only the essential, these paintings capture the energy of the protagonists and their environment; they capture the invisible part that we did not see on the pictures. The artist, who stayed in places where these pictures were taken, states: “I know something they know, and this exchange draws me both into their time, and into a timeless place. I try to convey my emotional response through the intuitive use of colour. “

P.M.

Êtes vous déjà tombé amoureux d’une silhouette, d’un geste, d’une posture? N’avez vous jamais cru reconnaître un ami de dos ou de loin d’après sa démarche? C’est ce que l’artiste israélien Gideon Rubin met en évidence dans ses peintures dont la simplicité n’est qu’une apparence. Marqué par la tragédie du 11 septembre dont il a été le témoin et ne pouvant plus s’atteler aux portraits qu’il faisait précédemment, il s’est mis à peindre de vieux jouets en bois ou des poupées qui avaient perdu leurs yeux, leur bouche, leur expression… Depuis qu’il a repris le portrait, il s’inspire de vieux annuaires d’écoles et de photos datant de la fin du 19ème et du début du 20ème siècles. Ses peintures représentent souvent des enfants, des adolescents qui renvoient à la mémoire de chacun : les premiers émois à la vue d’une fille allongée sur la plage, la première fois qu’on se tient la main, les premières tentatives de pose devant un appareil-photo ou l’envie d’apparaître plus adulte… “En laissant le visage sans expression, j’espère laisser une ouverture pour l’observateur, une sorte de porte, lui permettant d’y projeter ses souvenirs.”

P.M.


Have you ever fallen in love with a silhouette, a gesture or a posture? Have you ever thought you recognized a friend from behind or from his gait? This is what the Israeli artist Gideon Rubin highlights in his paintings of an apparent simplicity. Affected by the 9/11 tragedy he witnessed and unable to represent the portraits he did at that period, he began to paint old wooden toys or dolls who had lost their eyes, their mouths, their expression … Since taking over the portraits, he is inspired by old school yearbooks and pictures dating from the late 19th and early 20th centuries. His paintings, often depicting children dive us into our own memories: our first emotions at the sight of a girl lying on the beach or when we hold her hand, our first attempts to pose in front of a camera or our desire to appear more adult like our father or our mother … “By leaving the face blank, I hoped the viewer was left with an opening, a sort of a door, allowing the viewer to project his own memories.”

P.M.

Dans une époque où l’image règne, Ida Tursic & Wilfried Mille sont des ogres qui collectionnent, consignent et apprivoisent ce qu’ils trouvent sur internet, dans des films où ce qui les entoure ; ils ont classé plus de 140 000 images en dix ans. Ce duo de peintres français ne se contente pas pour autant de coucher sur la toile ce qu’il capture sur le web ou autour de lui. L’image peinte est comme un organisme qui doit avoir subi les traces du temps, qui doit raconter plus que ce qu’elle montre. Un tableau peut résider dans l’atelier en suspens car “il manque […] de la profondeur, la patine du temps, il lui manque le mystère, la complexité de l’événement, il lui manque son fantôme.” Ces artistes sont des physiciens qui expérimentent ; ils raclent leur palette pour récupérer les copeaux de peinture qui auront un jour, peut-être, une seconde vie ; agrandissent des clichés au point de n’en voir plus que des détails qui transforment leur toile en abstraction. Que ce soit en représentant des images pornographiques ou de petites fleurs des champs alentours, c’est la peinture “qui finira le travail, c’est elle qui aura de toute façon le dernier mot, avec ses imprévus, ses surprises, ses contradictions qu’il faudra accepter ou refuser.

P.M.


In a time where image reigns, Ida Tursic & Wilfried Mille are ogres who collect, record and tame what they find on the Internet, in movies or in surroundings; they have classified over 140 000 images in ten years. This duo of French painters is not contenting himself with painting on the canvas what he captures on the web or around him. The painted image is like a organism that must have suffered the traces of time, that should tell more than it shows. A painting can reside outstanding in the workshop because “it lacks […] of the depth, the patina of time, it lacks the mystery and complexity of the event, it lacks its ghost.” These artists are like physicists they experiment; they scrape their palette to recover the paint chips that will one day have, perhaps, a second life; enlarge snapshots at a point that we are unable to see more than details and thus transform their canvas into abstractions. Whether depicting pornographic images of flowers from surrounding fields, it is the painting “that will eventually do the job, that will anyway have the last word, with its unexpected, surprises, contradictions that we will have to accept or to decline. “

P.M.